lundi 9 juin 2025

 

 

Kant... ça se complique !

Voici un extrait du chapitre du livre l'on découvre Édouard Neney 


"Natif d’un village du Finistère surplombant l’océan infini, le cadet d’une famille d’humbles éleveurs volaillers, laisse l’imaginaire l’emporter par-delà les tempêtes. A l’adolescence, où l’on s’attache à d’autres conquêtes, où les émotions tendent à se fixer sur quelques zones bien délimitées de chair, il marche et se perd dans les pas de Gauguin et Sérusier, parmi les landes humides et les troupeaux de genêts se penchant en cadence non loin d’abruptes falaises diaphanes. Ses toiles impressionnent par de subtils contrastes, la rigueur du trait le concédant à la fantaisie du regard. Ses bateaux de pêche, jamais sortis de la première vague, subjuguent par leur réalisme, inquiètent dans leurs positions parfois poussées à leur extrémité. Madame Neney, femme de ferme, mère de tendresse, laisse à sa propre sensibilité le soin de déceler chez l’enfant, un talent avancé. En parle au collège. En dessin, il a 20. Son professeur lui dit qu’il n’est ordinairement jamais possible de donner 20, qui plus est en matière artistique où la perfection - contrairement à la subjectivité - n’est pas de ce monde. Mais que s’il compare son travail au reste de la classe et des élèves qu’il a vu gribouiller sous ses yeux terrifiés depuis quinze ans, il mériterait même 21 ! D’autres enseignants suggèrent néanmoins à la maman légitimement subjuguée, de laisser l’enfant étudier en préservant à la peinture son caractère distractif. 

Édouard ne délaissera jamais ses palettes, mais c’est à bord d’une goélette qu’il voguera de ses propres ailes. A fixer sans cesse son attention sur la ligne ondulante de son horizon, il s’est laissé attirer, engloutir par la carrière militaire. Un marin dans la famille, futur officier assurément, brillant sans nul doute, cela flattait la maison Neney autant que cela soulageait des parents âgés, désargentés, parfois désorientés. Lui, prenait le cap, le bon. Explorateur de mers insondables, gardien de valeurs vénérables. Aspirant à vingt ans, lieutenant deux ans plus tard, les étoiles de l’amiral n’auraient manqué de scintiller tôt ou tard sur les épaules de l’enfant prodigue et dans l’infini de l’amour maternel. Carrière éblouissante assurée si l’Algérie et l’amour ne s’étaient ligués, ingéniés à contrarier l’inexorable destinée. Bien qu’elle soit demeurée, plus stratégiquement qu’idéologiquement en retrait dans ce conflit, la Marine Nationale perdit rapidement ses attraits aux yeux du jeune homme que les événements auxquels il lui fut donné d’assister, firent ouvrir, mûrir et maudire. Édouard comprit à l’exécution d’ordres brusques et à leur absence de justification voire de légitimité, qu’il ne se trouvait plus à l’endroit propice à son épanouissement, ni surtout en adéquation avec sa conscience. 

Au hasard d’une escale à Shanghai, il croisa dans le ravissement d’un jardin bruissant de jets d’eau et de chants d’oiseaux, où s’épanouissaient magnolias, pivoines et azalées géantes, une autre fleur prénommée Fang. Le bel uniforme du marin fit le même effet sur la jeune fille que son sourire enchanteur sur l’aventurier breton. Elle apprenait le français et se passionnait pour la philosophie des Lumières. Il en fut tout aussi ébloui.  "