jeudi 15 mai 2025

 

Faut qu'ça rentre !

La caverne d'Alain Baba

Et comme vous avez eu l’amabilité de m’accompagner jusque-là, j’ai le plaisir de vous offrir quelques ligne du bouquin, où il est justement question de la fabrication du chausse-pied. A travers le souvenir d’André, le défunt mari de Germaine Lebal, cette brave femme qui a découvert un cadavre dans le parc voisin.

 

...Et si elle se refusait d’envisager l’avenir d’une quelconque manière enchantée, Germaine s’employait aussi à évacuer le passé. Y compris en condamnant la porte d’accès à la caverne d'Alain Baba. C’est ainsi que Lebal définissait son antre, cette pièce majeure de la maison, située entre la salle de bain et la chambre d’amis, une annexe aux souvenirs et autres choses précieuses de la vie.

Contremaître au sein de la plus grande manufacture de l'Aubrac, La force du pied, il exposait dans ce haut-lieu de la bottine et des cabotins, toute une panoplie d’ustensiles, de la plus grande banalité au meilleur style. A La Force il fut un temps chargé d’importer des essences précieuses, des ossements et autres cornes d’animaux exotiques. Un chausse-pied en plastique ou même en bois de nos forêts d’Aubrac et jusqu’en corne de nos bêtes locales, cela n’a que peu de valeur, aucun prestige et à ce titre aucun débouché, devisait-il aussi doctement que naïvement. Alors que du bois d’ébène, d’albergia ou d’acajou cela rend le produit bien plus attractif… Le must, cela reste tout de même la matière animale. Au top du top, se rengorgeait-il, il y a la défense de mammouth. En voici un que j’ai pu obtenir de mon patron car j’avais effectué la transaction directement en Yakoutie, une région russe bordant l’arctique. J’étais missionné pour conclure sur dix kilos, j’en ai ramené trente pour quasiment le même prix car ils semblaient pressés de vendre. Une fortune : cinquante mille euros ! Mais pour finir on en a fait pour quatre cent mille de chiffre d'affaires, belle culbute ! s’illuminait-il. Là, vous avez de la dent de crocodile et là du sabot de chameau. Tout fait vente et pas qu’un peu !

Lebal avait ouvert son petit musée de merveilles juste à sa retraite afin de ne pas sombrer aussitôt en déprime. Il y passait ses journées en sorte que lorsqu’une tumeur au cerveau le terrassa en l’espace de deux mois, Germaine n’aurait pas dû sentir la différence, puisqu’il n’avait d’intérêt que pour ses joyaux emmanchés. Du reste c’est ici qu’elle déposa, comme il se devait, les cendres de son époux. Elles ne dépareillaient pas, car il exposait sur l’une des étagères voisines toute une panoplie de chausse-pieds en porcelaine de Limoges, tout comme l’était cette élégante urne funéraire. Non décidément, ce petit bout de femme pimpante, toujours bien tenue, fraîchement maquillée, portant le tailleur bien ajusté et une poitrine fièrement dressée, avait laissé, depuis, tout tomber. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire